Je pense qu’au fond, face à la voie toute tracée que représentait une classe préparatoire, rentrer en école d’architecture constituait une forme de rébellion pour moi. Une rébellion mitigée bien sûr, car un double cursus architecte-ingénieur s’imposait pour rassurer la société et la première de classe qui sommeillait en moi. Joli petit subterfuge pour sauver les apparences. Toujours est-il que j’étais très enthousiaste à l’idée d’entrer dans un monde nouveau et « libérateur » en arrivant à l’ENSAL. Je reste très reconnaissante pour toutes ces belles années. Tout cela était très stimulant intellectuellement, mais aussi physiquement éreintant. Car oui, j’ai goûté aux joies et aux malheurs de la charrette, et ce, dès ma première année. Arrivée en Master, il m’a semblé important de produire quelque chose de constructif à partir de mon expérience étudiante. J’étais insatisfaite, mais je n’arrivais pas à poser le doigt sur ce qui me troublait. Au début, je voulais me pencher sur la « culture de la charrette », mais le sujet avait déjà été finement analysé par Youri Dayot quelques années auparavant. Cela ne m’a pourtant pas empêché de jouer à l’apprenti sociologue. Même après la rédaction de ce mémoire, je dois dire que mon trouble subsiste encore.
D’un côté, il me semble que l’enseignement de projet repose sur une grande part d’arbitraire et d’aléatoire, de postures et d’égos, mais aussi de doctrines qui ne disent pas leur nom même si certains s’en défendent. Toute cette diversité de postures enseignantes crée paradoxalement une forme d’aveuglement qui nous empêche de remettre en question le système d’enseignement. Il existe là une véritable confusion entre la transmission basée sur l’expérience d’un enseignant et un enseignement véritablement structuré. D’un autre côté, je m’inquiète de cette fâcheuse tendance à tout trouver « intéressant » dans cette diversité si désirée. D’autant plus qu’il n’y a pas de véritable observatoire/évaluation systématique des différents enseignements (notamment de projet). Impossible donc de capitaliser sur ce qui a été fait avant. Il règne une sorte d’indécision générale sur ce à quoi doivent être formés les étudiants et sur ce qui est important. Tout ceci constitue un contexte extrêmement riche, mais aussi parfois hostile, laissant un certain nombre d’étudiants de côté. Beaucoup arrivent néanmoins à se frayer un chemin dans cette jungle, à se forger une posture (moi y compris) et trouvent même l’expérience très enrichissante a posteriori (syndrome de Stockholm ou dissonance cognitive ?). Au fond, le système marche tout de même.
Je pourrais donner l’impression de vouloir aseptiser l’enseignement en architecture voire même de tuer l’architecture (pour mes plus féroces détracteurs imaginaires). Est-ce que tenter d’expliciter, de théoriser ce qu’est la boîte noire de la conception architecturale -pour mieux l’enseigner- est un attentat à la discipline ? Peut-être… Pour rassurer les plus réfractaires, s’interroger sérieusement sur l’enseignement en école d’architecture n’implique en rien de ressembler aux autres, ni de ne plus faire de l’architecture. Au contraire, c’est une bonne occasion d’enrichir et d’améliorer l’atelier de projet, forme pédagogique si spécifique et si chère aux écoles d’architecture, mais qui me semble sous-exploitée. Le lecteur aura compris que si j’aime beaucoup critiquer l’enseignement en architecture, c’est à des fins constructives. Qui aime bien, châtie bien ! dit l’adage. Mais que le lecteur soit rassuré, l’enseignement du projet architectural n’a pas le monopole de cette critique. Je vais en effet maintenant pouvoir m’attaquer aux écoles d’ingénieur. Autre chantier colossal s’il en est !